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25 mai 2016

Cigarette électronique : et si la rigueur scientifique nourrissait le débat ?

À l’heure où les politiques de santé cherchent de nouvelles solutions pour réduire le fléau du tabagisme, la cigarette électronique s’impose dans le débat public. Mais de nombreuses interrogations demeurent aujourd’hui, avec des informations parfois contradictoires. Les données scientifiques, encore une fois, pourraient être juge de paix.

En quelques années, la cigarette électronique (CE) a réalisé une véritable percée commerciale. Aujourd’hui, environ 3 millions de Français en utilisent (données de 2014), dont 1,5 million de manière quotidienne1.

Des données très récentes montrent même que la France, parmi 27 pays de l'Union Européenne, serait le premier pays expérimentateur de CE, du fait d'une multiplication par plus de 4 de la proportion d'expérimentateurs entre 2012 et 20142. Trois générations de CE se sont succédées apportant chacune une amélioration technologique aux consommateurs : possibilité de recharger sa cigarette et de choisir la concentration de nicotine dans le liquide de recharge, réglage de la quantité de nicotine délivrée à chaque bouffée, connexion de la CE à une application mobile… Autant d’arguments commerciaux mais aussi de moyens d’affiner et de contrôler sa consommation, dans l’idée de réduire ou d’arrêter la consommation de cigarettes traditionnelles. Si la perspective du sevrage séduit de nombreux fumeurs, elle constitue surtout un objectif majeur des politiques de santé publique qui, depuis plusieurs décennies, tentent de faire reculer le tabagisme. En France, le tabagisme n’a pas reculé. Bien au contraire, entre 1980 et 2014, la proportion de fumeurs (hommes et femmes) est passée de 29,9 % à 34 %, et on estime aujourd’hui que 78 000 personnes3 décèdent encore chaque année à cause du tabac, dont 44 000 par cancer. Lancé en 2014, dans le cadre de la mise en œuvre du Plan Cancer, le programme national de réduction du tabagisme comporte un certain nombre de mesures qui visent à faire infléchir la tendance. Une initiative saluée par le docteur Ivan Berlin, chercheur en pharmacologie clinique et tabacologue à la Pitié-Salpêtrière (Paris), qui déplore tout de même un retard de 10 à 20 ans dans la prise de conscience de l’urgence.

Des données encore partielles

Dans ce paysage, de nombreuses voix se font entendre pour élever la CE au rang d’aide au sevrage tabagique ou de substitut nicotinique. De leur côté, les autorités sanitaires françaises, comme celles de la majorité des états, restent prudentes. Et pour cause : comme le rappelle Ivan Berlin, « aucune donnée n’est encore disponible en ce qui concerne ses effets sur la santé, individuelle ou publique ». Sur la capacité de la CE à faire arrêter la consommation de tabac, pas plus de certitudes : des corrélations épidémiologiques semblent indiquer que la consommation de cigarettes traditionnelles pourrait s’essouffler au profit de celle de CE mais la seule méta-analyse réalisée actuellement, regroupant des données produites lors d’essais cliniques ou d’études observationnelles, conclut à un effet nul, voire négatif, de la CE dans le sevrage4...

Aujourd’hui, être ou ne pas être pour la promotion sanitaire de la CE semble être la question. Selon Ivan Berlin, bien des questions devraient être posées – et de réponses obtenues – avant d’envisager une position plus affirmée dans ce débat.

Des questions pour la recherche

Pour sortir du brouillard, il faut accepter d’avancer à petits pas, à la lueur d’informations scientifiques dont la portée est bien circonscrite. Le fait que la quantité de produits cancérigènes présents dans l’aérosol de la CE soit bien moindre que celle provenant d’une bouffée de cigarette classique, ne permet pas d’affirmer, par exemple, que l’utilisation de la CE réduit le risque de cancer chez les fumeurs. Dans ce cas précis, la composition du liquide peut effectivement être bien maîtrisée (sous réserve que les filières de production respectent des normes strictes), mais de nombreuses données toxicologiques et pharmacologiques manquent encore. En particulier, on ne connaît pas encore dans le détail la composition de l’aérosol respiré par le vapoteur et on ne dispose pas non plus de données précises sur le passage de la nicotine, ni même des autres produits, dans la circulation sanguine ou dans le cerveau. Enfin, le manque de recul ne permet pas d’estimer les effets à long terme de ces produits sur la santé… De plus, l’estimation d’un niveau de risque de cancer dans une population nécessite la mise en œuvre d’études épidémiologiques de grande ampleur et ne peut pas s’appuyer uniquement sur l’accumulation de données pharmacologiques. « Aujourd’hui, l’hypothèse d’une toxicité bien plus faible de la CE par rapport à celle des cigarettes traditionnelles est très probable, mais il ne s’agit que d’une hypothèse » prévient Ivan Berlin.

Des pistes prioritaires

Face aux actions marketing des distributeurs de CE et de l’industrie du tabac, l’effort de recherche doit redoubler pour fournir à la société les connaissances indispensables au bon usage de cet objet. Ainsi, dans le cadre de l’appel à projet « Priorité cancers tabac », lancé conjointement par l’Institut national du cancer (INCa), la Ligue nationale contre le cancer et la Fondation ARC, deux projets s’intéressant à la CE ont été sélectionnés. Un premier suivra les trajectoires de consommation de CE et de tabac au sein d’une large cohorte, le second analysera le marketing mis en place autour de la CE et notamment ses effets sur les jeunes.

De son côté, le docteur Ivan Berlin doit coordonner un important essai clinique comparant l’efficacité de la CE en tant que substitut nicotinique à celle du médicament actuellement recommandé (la varénicline, ou « champix ®») et à celle d’un placébo.

Les autorités de santé publique ne peuvent se satisfaire d’hypothèses – même fortes – pour donner un « statut » à la CE : substitut nicotinique, produit de consommation classique, produit toxique pour telle ou telle population... Il est de leur responsabilité de promouvoir les études qui établiront des faits et des données chiffrées, de manière à ce que le rapport bénéfice/risque de la CE soit correctement évalué, pour les fumeurs comme pour les non-fumeurs.


R.D.

1 Baromètre santé Inpes 2014
2 Filippos T Filippidis et al; Two-year trends and predictors of e-cigarette use in 27 European Union member states; Tobacco control; 24 May 2016
3 Ribassin-Majed L, Hill C. ; Trends in tobacco-attributable mortality in France; Eur J Public Health 2015;25(5):824-8.
4 Kalkhoran and Glatz ; E-cigarettes and smoking cessation in real-world and clinical settings : a systematic review and meta-analysis ; Lancet respiratory medicine ; 14 janvier 2016