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03 avril 2018

Traiter la douleur : des enjeux d’organisation et de recherche

La douleur concerne la moitié des patients atteints de cancer et deux patients sur trois lorsque la maladie est à un stade avancé ou métastatique. De nombreuses options existent, médicamenteuses ou non, pour traiter ces patients mais la situation n’est pas satisfaisante pour autant. Avec une spécialiste, petite incursion dans le traitement de la douleur pour comprendre les enjeux d’une prise en charge complexe.

La prise en compte des douleurs dans l’accompagnement des patients traités pour un cancer soulève, aujourd’hui encore, des questions majeures de recherche mais aussi d’organisation des soins.

Soulager la douleur est une démarche qui peut sembler évidente lorsqu’un patient est pris en charge dans un cadre médical : la maladie est soignée, la douleur doit disparaître… Sauf si la douleur n’est pas directement causée par la présence de la tumeur ou si les traitements en sont à l’origine, des situations fréquentes chez les patients atteints de cancer. Bien souvent, la prise en charge de la douleur doit donc être considérée parallèlement à celle de la maladie. La formalisation de cette prise en charge dédiée repose sur un très large corpus de connaissances intégrant différentes disciplines de sciences biomédicales et de sciences humaines (neurobiologie, anatomie, anesthésie, psychologie, psychiatrie…).

La douleur, c'est quoi ?

La douleur est une notion complexe. Dès la fin des années 70, grâce à la convergence des disciplines, ses différentes dimensions se sont intégrées dans une définition, que l’OMS a adoptée en 1986 : la douleur serait une « expérience sensorielle ou émotionnelle désagréable associée à un dommage tissulaire présent ou potentiel […] ». Comme l’écrit le Professeur Serge Perrot, médecin au Centre de la douleur de l’Hôpital Cochin - Hôtel-Dieu (Paris)1, « La douleur de chaque personne doit être crue, qu’une cause soit identifiée ou non, qu’elle soit réelle ou imaginaire. Cette caractéristique justifie un abord clinique fondé sur une évaluation globale sans se limiter à la maladie en elle-même ». Pour décrire la douleur d’un patient – et bien sûr la traiter – il apparait donc nécessaire de prendre en compte les dimensions physiques, mais aussi psychologiques, affectives ou sociales de ses causes et de ses retentissements.

Mais si l’on reste très concret, la douleur n’est qu’un signal nerveux qui, après avoir été généré quelque part dans notre organisme, est conduit jusqu’à notre cerveau où il est modulé, interprété, traduit en une information… En fonction de la nature des éléments déclencheurs de ce signal nerveux, plusieurs types de douleurs ont pu être identifiés (voir ci-dessous), une distinction qui permet d’envisager des réponses pharmacologiques adaptées : les antalgiques, dont certains dérivés de la morphine, sont en général efficaces contre les douleurs nociceptives, alors qu’ils le sont beaucoup moins dans le cas de douleurs neuropathiques, contre lesquelles des antidépresseurs ou certains antiépileptiques sont actuellement la référence.

Enfin, les médecins distinguent les douleurs aiguës des douleurs chroniques. Si les premières révèlent, par exemple, l’existence des lésions ou d’inflammations à traiter, les secondes sont souvent bien plus délicates à cerner.

Douleurs, causes et conséquences
  • Les douleurs nociceptives résultent de l’activation de récepteurs nerveux par une lésion interne ou externe de l’organisme (chirurgie, inflammation due à la tumeur, nécrose liée à la radiothérapie…). Quand ces causes disparaissent ou sont traitées, ces douleurs évoluent vers la guérison.
  • Les douleurs neuropathiques sont la conséquence d’une lésion du système nerveux : compression d’un nerf par la tumeur, toxicité neurologique de certaines chimiothérapies, séquelle chirurgicale… Ces douleurs peuvent survenir avec un délai et se maintenir quand leur cause a été éliminée/traitée, devenant parfois chroniques.
Tiré de : La douleur en cancérologie – Etat des connaissances en date du 1er juin 2010 ; Collection Fiches repères ; Institut national du cancer

La situation des patients atteints de cancer

Chez les patients traités pour un cancer, la question de la douleur est particulièrement complexe : la présence d’une tumeur n’est pas toujours douloureuse, au contraire des traitements (chirurgie, radiothérapie ou traitements médicamenteux) qui, eux, engendrent très souvent différents types de douleurs. Par ailleurs, au-delà de ces effets indésirables, l’annonce d’un cancer instaure un état psychologique susceptible d’influencer la perception des douleurs.

On estime qu’un patient sur deux atteint d’un cancer est exposé à des douleurs modérées à sévères qui nécessiteraient d’être prises en charge (deux patients sur trois parmi ceux qui souffrent d’un cancer de stade plus avancé). La douleur, outre le fait qu’elle réduise la qualité de vie des patients, est responsable d’une moins bonne tolérance aux traitements anticancéreux et entraîne une perte de chance.

Responsable du Centre d’étude et de traitement de la douleur de Gustave Roussy
Sophie Laurent

Avec la meilleure survie des patients, la problématique des douleurs chroniques prend de l’importance. De plus, l’arrivée continue de nouveaux traitements complexifie le tableau clinique des patients que nous voyons en consultation.

Or, en 2010, les consultations spécialisées ne permettaient de voir que 7,3 % de ces patients. Sophie Laurent, responsable du Centre d’étude et de traitement de la douleur de Gustave Roussy (Villejuif), temporise cette donnée inquiétante « tous les patients douloureux ne nécessitent pas une prise en charge par une équipe spécialisée : des standards de traitement peuvent être appliqués et donnent des résultats satisfaisants dans la très grande majorité des cas. », tout en rappelant que la tendance est actuellement à une augmentation des besoins : « avec la meilleure survie des patients, la problématique des douleurs chroniques prend de l’importance. De plus, l’arrivée continue de nouveaux traitements complexifie le tableau clinique des patients que nous voyons en consultation ». En effet, pour comprendre en détail la douleur d’un patient, le spécialiste se repose presque exclusivement sur le ressenti exprimé par celui-ci (généralement révélé grâce à des questionnaires standardisés) et sur son parcours de soin : a-t-il subi une chirurgie ? Quand ? Sa chimiothérapie est-elle connue pour provoquer des douleurs neuropathiques ? Etc. Or, aujourd’hui les chimiothérapies se combinent entre elles et s’associent à des thérapies ciblées ou à des immunothérapies, autant de molécules dont la jeunesse rend plus complexe la connaissance des effets secondaires. Conclusion, si on considérait encore jusqu’à récemment que la douleur des patients atteints de cancer pouvait être traitée dans 90 % des cas par la « simple » application de standards, « cette proportion serait aujourd’hui plus proche de 80 à 85 % », selon la responsable d’équipe de Gustave Roussy. Une différence ténue qui prend toute sa mesure si l’on considère les 3 millions de personnes qui sont actuellement – ou ont été – traitées pour un cancer en France ainsi que - comme le déplore Sophie Laurent - « la relative désertion de la spécialité par les jeunes générations de médecins ».

Mais ce déficit de prise en charge n’est pas uniquement dû à une surcharge des consultations spécialisées. Sophie Laurent explique que la douleur est sous-déclarée par les patients eux-mêmes, et ce pour plusieurs raisons : tout d’abord, elle parait souvent secondaire dans le contexte des traitements d’un cancer ; par ailleurs, les opioïdes proposés pour contrôler certaines douleurs aiguës peuvent avoir un effet dissuasif parce qu’étant, dans l’opinion, parfois associés à l’accompagnement de la fin de vie, ou à des produits dangereux et addictifs.

Enjeux d'une recherche dédiée à la douleur

Les questions d’accès aux soins ne sont pas les seules limites au bon traitement des douleurs chez les patients atteints de cancer. L’origine physiologique voire moléculaire de ces douleurs est parfois difficile à établir et les solutions ne sont pas toujours efficaces. Ainsi l’identification de nouvelles cibles moléculaires, impliquées dans la génération du signal douloureux, son transport ou son traitement dans le cerveau, permet le développement de nouvelles stratégies médicamenteuses.

Sophie Laurent

Aujourd’hui on dispose aussi de données permettant de dire que certaines interventions non-médicamenteuses pourraient constituer des solutions.

« Aujourd’hui on dispose aussi de données permettant de dire que certaines interventions non-médicamenteuses pourraient constituer des solutions pour beaucoup de nos patients dont les douleurs chroniques perdurent. » rappelle Sophie Laurent. Les techniques d’auriculothérapie, d’acupuncture, de méditation, d’hypnose ou d’ostéopathie, par exemple, aident à atténuer ou à faire face aux douleurs.  « Dans la majorité des cas, ces approches doivent encore être validées par des essais cliniques à la méthodologie solide ».

A titre d’exemple, un essai clinique a dernièrement été initié, grâce au soutien de la Fondation ARC, afin d’évaluer l’efficacité d’un traitement par laser de faible intensité pour prévenir les mucites sévères chez les enfants et jeunes adultes traités par chimiothérapie. Les mucites sont des inflammations de la muqueuse buccale qui surviennent fréquemment suite à certaines chimiothérapies ou radiothérapies. La douleur induite par ces mucites est telle qu’elle peut, dans certains cas, nécessiter l’administration d’antalgiques de type morphinique et une hospitalisation prolongée. Les conséquences des mucites peuvent être importantes, avec un risque de dénutrition, d’infections et une dégradation de l’état général du patient. Le traitement de la muqueuse buccale par un laser de faible intensité est déjà effectif chez les adultes, mais les données cliniques sont encore morcelées chez les plus jeunes. L’objectif de l’essai, randomisé et comparant la technique à une irradiation placébo, est d’acquérir des certitudes quant à l’efficacité de cette approche interventionnelle chez les jeunes patients et d’en préciser les modalités. Pour Sophie Laurent, « une des forces de cet essai réside dans le fait qu’il soit mené par une oncologue pédiatre [le docteur Léa Guerrini Rousseau, du département de pédiatrie à Gustave Roussy] et non par un spécialiste de la douleur ». Selon elle, la bonne prise en charge des patients passe en effet par la rencontre des enjeux médicaux : la lutte contre le cancer ne peut pas se passer d’une lutte efficace contre les douleurs.


R. D.

1. Livre blanc de la douleur 2017 - État des lieux et propositions pour un système de santé éthique, moderne et citoyen ; Société Française d’Étude et de Traitement de la Douleur (SFETD) ; Éditions Med-Line