La douleur neuropathique concerne environ 4 millions de personnes en France. Parmi elles, de nombreux patients qui sont – ou ont été – traitées pour un cancer, doivent faire face à cette « complication » de la maladie, cet « effet secondaire » des traitements… La douleur neuropathique peut en effet être une suite de la maladie, si la tumeur a engendré des lésions dans les tissus environnants, ou une conséquence des traitements, lorsqu’une chirurgie a endommagé certaines terminaisons nerveuses ou que des médicaments ont eu un effet neurotoxique, par exemple. On sait en effet que la douleur neuropathique survient après la lésion de nerfs périphériques (qui ne font pas partie du cerveau ou de la moelle épinière). Mais il est encore difficile de comprendre pourquoi elle perdure lorsque cette lésion n’existe plus…
A Montpellier et Strasbourg, des chercheurs se sont intéressés aux origines moléculaires de ces douleurs et en particulier aux mécanismes qui expliquent comment elles deviennent chroniques. Ils savaient déjà que la fonctionnalité des neurones constituant le nerf périphérique touché changeait suite à la lésion, entrainant une sensibilisation de cette fibre nerveuse.
Ce phénomène de sensibilisation explique relativement bien l’origine de douleurs « sans cause apparente », les messages douloureux étant générés sans stimulation notable (température, pression…), mais ne permet pas de comprendre précisément comment ces anomalies deviennent chroniques. C’est en explorant les relations entre le système nerveux et les cellules immunitaires du sang qui investissent la zone lésée pour la réparer et la sécuriser que les chercheurs ont fait la lumière sur des mécanismes encore très mystérieux. Une molécule (la cytokine « FL ») est émise localement par ces cellules sanguines et active la protéine « FLT3 », exposée à la surface de ces neurones sensitifs constituants la fibre nerveuse altérée. Dès lors, une cascade de réactions se déclenche dans ces cellules ainsi que dans leurs partenaires, impliquées dans la transmission du signal douloureux au niveau de la moelle épinière ou du cerveau. Le bouleversement est tel que le programme génétique de ces cellules nerveuses en est modifié, expliquant non seulement le phénomène de sensibilisation, mais aussi celui de la chronicisation.
En supprimant in vivo l’expression de FLT3, les chercheurs sont parvenus en laboratoire à faire disparaitre les douleurs neuropathiques, qui pouvaient inversement être générées artificiellement avec l’administration locale de FL. Puis, grâce à une approche informatisée basée sur la connaissance de la structure 3D des protéines FL et FLT3, une molécule capable de s’interposer entre ces deux protagonistes a été sélectionnée (parmi trois millions de candidates). Son administration permettait de supprimer en quelques heures les symptômes.
Le développement clinique de cette molécule, pour l’instant appelée BDT001, devrait encore durer plusieurs années, tout doit encore être testé chez l’humain, mais son action spécifique sur les mécanismes de la douleur neuropathique ouvre une piste thérapeutique très intéressante à suivre.
R. D.
Source : Rivat, C. et al ; Inhibition of neuronal FLT3 receptor tyrosine kinase alleviates peripheral neuropathic pain in mice; Nature Communications; 12 mars 2018